La masse non suspendue, parfois dénommée poids non suspendu, constitue la masse des éléments du véhicule suivant exactement les ondulations de la route. Par opposition, la masse des autres éléments du véhicule, suspendues sur les roues, est dite « masse suspendue ».

Sur une moto, le poids non suspendu comprend les roues, les pneus, les disques de frein, les étriers, les tubes de fourche inférieurs et une partie du bras oscillant. Le poids suspendu est tout ce qui est soutenu par les amortisseurs – moteur, châssis, carburant et pilote.

Cette masse non suspendue a son importance, car elle est en étroite relation avec la capacité de la suspension à maintenir les pneus sur la piste.

Il faut rendre à César…

Un exemple simple : un char hippique, utilisé pour les courses de char dans la Rome Antique, n’a pas de suspension, donc tout son poids est non suspendu. Ainsi, la totalité du char doit suivre les ondulations de la piste, ce qui engendre une conduite difficile. Si les chevaux se déplacent et que les roues du char heurtent une bosse suffisamment grande, les roues peuvent momentanément quitter la route, avec seulement l’effet de la gravité pour les ramener au sol.

Un peu de théorie

Plus la roue est lourde, plus il faut d’énergie pour la mettre en mouvement ou stopper ce même mouvement. Ainsi, une roue lourde demande plus de couple au moteur ce qui limitera l’accélération. A l’inverse, une roue plus légère autorise une accélération plus vive.

Il est plus facile de stopper une roue de 1 kg en rotation qu’une roue de 100 kg car elle développe moins d’inertie. Plus la roue est lourde, moins le freinage est efficace. Sans oublier l’adhérence essentielle au freinage…

Qui plus est, la roue est une masse non suspendue et tournante. Un objet en mouvement rotatif prend de l’inertie. L’énergie cinétique totale E d’une roue se décompose en deux contributions :

– L’énergie de translation, car la roue avance. Cette énergie cinétique dépend de sa masse et de sa vitesse de translation (1/2.m.v²).

– L’énergie de rotation, car elle tourne. Une masse en rotation à une énergie cinétique qui dépend de son moment d’inertie et de sa vitesse (1/2.J.w²).

Avec m : masse d’une roue / v : vitesse de translation / J : moment d’inertie de la roue / w : vitesse de rotation

Pour une forme cylindrique de rayon R (approximation de la forme d’une roue de masse m) on calcule le moment d’inertie de la façon suivante : J = 1/2.m.R²

En utilisant la relation suivante permettant de faire le lien entre vitesse linéaire et vitesse de rotation : v = R w, alors la masse équivalente M ajoutée au véhicule par chaque roue en rotation se déduit de :

1/2 M.v² = 1/2 ( 1/2.m.R²).(v/R)², ce qui donne M = 1/2 m

Cela signifie que chaque roue ajoute, du fait de son moment d’inertie (rotation), une masse équivalente M = 1/2 m au véhicule. Cela revient au total pour les 2 roues d’une moto à ajouter : T = 2.M = 1.m . Autrement dit, la masse équivalente des roues (m = masse d’une roue) sur une moto est donc égale à 2 m + 1 m = 3 m (2m de masse statique et 1m dû à l’inertie de rotation).

En reprenant la totalité des calculs, en arrivant à alléger les 2 roues de 1 kg, on économise 1,5 kg d’inertie, ce qui est loin d’être négligeable.

Si la masse non suspendue est importante, la roue aura du mal à suivre les ondulations de la route : un effet d’ondulation se mettra en place le temps d’être absorbé par l’amortisseur. Si l’inertie dépasse les capacités d’absorption de l’amortisseur, la roue pourra décoller à chaque imperfection de la route, voire perpétuer l’oscillation (et engendrer du chattering). Plus la masse non suspendue est faible, plus l’amortisseur rattrapera facilement et rapidement le phénomène et plus le pneu gardera le contact avec le sol.

Ainsi, la masse de la roue étant plus faible, on peut augmenter d’autant la dureté de l’amortissement afin de moins décoller derrière les bosses. On entre alors dans le cercle vertueux : le pneumatique peut être plus souple puisqu’il a moins d’irrégularités à suivre, donc plus léger. La jante en sera d’autant mieux suspendue. Ressorts et amortisseurs subiront des efforts moins importants puisqu’ils ont moins d’inertie à combattre et peuvent être dimensionnés plus légèrement. La moto en est d’autant plus légère et a une meilleure adhérence.

Analogie avec le moteur

Il y a une analogie à faire ici avec l’affolement de soupapes (qui peut être assimilé à un « flottement » de soupapes). Les soupapes d’admission et d’échappement du moteur sont actionnées par des cames rotatives, et le lobe de la came n’est autre qu’une sorte de « bosse sur la route », au détail près qu’elle est très épurée. Le ressort de soupape est suffisamment rigide pour maintenir normalement le mécanisme de soupape en contact avec le lobe de la came, mais si le moteur monte à un régime trop élevé par rapport à ce qui a été dimensionné, la came peut tourner si rapidement que les soupapes « flottent » sur le profil de la came pendant un instant. Cet affolement de soupapes suit les mêmes lois que les roues des véhicules passant sur des bosses.

Dans le cas des soupapes sur un moteur, les ingénieurs cherchent à rendre les pièces mobiles aussi légères que possible afin que le ressort de soupape puisse rester garder en contact avec la came. La même chose se fait avec la masse non suspendue d’une moto.

Quelles sont les solutions ?

Il n’y a pas de solution miracle, il faut gagner du poids sur tous les éléments non-suspendus.

La jante est rendue aussi légère que possible en la fabriquant en aluminium ou même en magnésium. Les pneus diagonaux des années 1970 pesaient jusqu’à 4.5 kg chacun, avec le poids supplémentaire d’une chambre à air (rajoutez un bon kilo par chambre). L’arrivée des jantes tubeless dans les années 1980 a banni la chambre à air et le passage après 1984 de la construction à pneus diagonaux à la construction semi-radiale a permis de réduire le poids de chaque pneu d’un bon 1.5 kg.

Les axes de roues pleins, lourds mais trop flexibles, ont été remplacés par des axes tubulaires plus légers mais également plus rigides.

Les disques de frein en 1972 mesuraient 7 mm d’épaisseur. Ils ont depuis été remplacés par des disques beaucoup plus légers et plus étroits de 5,5 mm d’épaisseur. Dans le cas du MotoGP, le métal est remplacé par des disques en carbone ultra-légers (même sous la pluie).

Les étriers de frein ont également beaucoup évolué. Au début des années 1970, ils pouvaient peser jusqu’à 1.5 kg chacun. Mais grâce à l’analyse du dimensionnement et des contraintes (via la CAO, Conception Assistée sur Ordinateur), ils ont été affinés pour peser beaucoup moins – environ 500 g – tout en ayant la rigidité nécessaire pour donner une excellente sensation au levier de frein.

Quant à la fourche elle-même, elle est devenue inversée, c’est-à-dire avec la partie contenant l’huile en haut afin que ce soit la partie légère (le piston) qui soit non suspendue. Il y a mieux encore avec les amortisseurs à réservoir d’huile séparé, fixé sur le châssis et donc entièrement suspendu.

Si on reprend l’analogie avec les soupapes, le processus d’allègement revient au passage des culbuteurs et de leurs tiges aux soupapes allégées avec arbres à cames en tête. Dans l’ancien système, la came soulevait un poussoir ou un suiveur de came, qui à son tour soulevait une tige de poussée. La tige de poussée inclinait le culbuteur, dont l’extrémité éloignée, prenant appui contre l’extrémité de la tige de soupape, soulevait la soupape.

Mais dans un système moderne à arbres à cames en tête, le poids supplémentaire de la tige de poussée et du culbuteur a disparu, et la came actionne directement la soupape, au pire via un linguet très léger, ne nécessitant que la moitié de la pression du ressort de soupape pour empêcher le flottement de la soupape et maintenir celle-ci en contact constant avec le lobe de came.

Ainsi, en allégeant le poids non suspendu de la moto, il faut plus de vitesse pour « faire flotter les pneus » sur une route accidentée donnée, et lorsqu’un pneu quitte momentanément la surface de la route, il revient en contact beaucoup plus rapidement.

 

La Yamaha YZR500 (0W20) de 1974 avait énormément de masses non suspendues

 

La M1 de Valentino Rossi en 2020 a toutes les améliorations nécessaires pour réduire les masses non suspendues

 

Reprenons un peu de théorie… L’accélération, qui se calcule en G, est le rapport entre la masse de l’objet accéléré sur la force qui est nécessaire pour l’accélérer (en l’occurrence, l’effort du ressort de la suspension). Une MotoGP pèse environ 250 kg (avec son pilote), et en considérant que le poids est réparti de manière uniforme, cela signifie que chaque roue supporte 125 kg. En supposant que la masse non suspendue soit de 12,5 kg par roue (pour simplifier les calculs), alors si la roue « flotte » après être passée sur une bosse, il faudrait 125/12,5 = 10 G pour la ramener au contact de la piste. Imaginez si l’ensemble non suspendu pesait le double, soit 25 kg, l’accélération nécessaire pour la ramener au sol serait de 20 G, soit le double également !

Cela montre clairement qu’une moto à faible poids non suspendu peut passer beaucoup plus vite dans un virage accidenté, sans « flottement de roue », que celle avec des roues plus lourdes.

Cela explique également pourquoi les motos avec une certaine flexibilité latérale dans leur châssis peuvent avoir des vitesses de passage en courbe plus élevées (à un angle d’inclinaison élevé) que les motos avec un châssis plus rigide. Un châssis est rigide, car par définition, il ne peut pas fléchir, rebondit sur les bosses, perdant ainsi le contact avec la chaussée et sautant latéralement. Un châssis plus flexible permet à la flexion de la fourche ou du bras oscillant de compenser la bosse plutôt que de la subir. Ce châssis flexible permet aux pneus de mieux absorber les petites bosses.

Pourquoi la suspension à elle seule ne gère-t-elle pas cela ? Avec les pneus modernes permettant des angles d’inclinaison supérieurs à 60 degrés, la suspension se déplace dans une direction assez différente des bosses (la bosse étant verticale à la piste, quand la moto est inclinée, la suspension travaille plus ou moins horizontalement). Et même si on arrive à modéliser des systèmes physiques très complexes, il est très compliqué de calculer précisément ce genre de phénomènes, car rien ne vaut le feeling et les prouesses d’un pilote en piste…