A l’entame du dernier Grand Prix de la saison MotoGP 2020, les représentants des six constructeurs impliqués en catégorie reine se sont exprimés devant la presse réunie virtuellement à Portimão.
A tour de rôle, chacun a pu faire un bilan de sa saison avant de répondre aux questions des journalistes.
Après Davide Brivio pour Suzuki et Paolo Ciabatti pour Ducati, Lin Jarvis s’est retrouvé comme attendu sous le tir croisé des questions concernant la saison très contrastée des Yamaha. Heureusement, l’homme est un professionnel de la communication et apporte des éléments de réponse intéressants…
Lin Jarvis (Directeur de Yamaha Motor Racing et Principal de Energy Yamaha MotoGP Team) : « Il est difficile d’avoir un seul jugement (sur la saison 2020). Je pense que cela a été une année très lourde pour tout le monde, pour tout le monde ici, tous les constructeurs, pour les pilotes et les équipes, car quoi qu’il en soit, faire cette saison avec la situation de la Covid a été d’une façon générale très rude. Comme Paolo (Ciabatti) l’a dit précédemment, à la fin de ce weekend nous aurons fait 14 courses dans des circonstances vraiment très difficiles. Je dirais donc que pour chaque personne de notre équipe, cela a été lourd. Nous avons connu des hauts et des bas durant cette année. Évidemment, nous avons commencé tout en haut en début d’année. En début d’année, non, puisque le Qatar a été annulé, mais à Jerez nous avons fait premier et deuxième lors des deux premières courses. Mais pendant que l’on remportait les courses à Jerez, nous avons immédiatement découvert notre talon d’Achille. Évidemment, notre talon d’Achille était le problème de soupape dont nous avons souffert dès le premier run. Dès la FP1, Maverick a connu le premier problème puis Valentino s’est arrêté durant la course et Franco Morbidelli s’est arrêté durant la deuxième course. Donc ce problème, ce talon d’Achille, s’est poursuivi durant toute l’année et cela a parfois évidemment compromis les chances de faire de meilleures performances pour certains de nos pilotes, car nous avons dû modifier les moteurs, dégrader les moteurs, puis nous avons rangé beaucoup de moteurs. Nous avons rangé huit moteurs au cours de la saison, donc nous avons couru dans une situation très étrange, stressante et difficile, avant tout pour un pilote. Et finalement, cela a abouti à la fin de l’année, quand nous avons eu cette décision sans pénalité à Valencia qui a affecté les championnats constructeurs et par équipes mais heureusement pas celui des pilotes. »
« Mais cela a été une année dure pour gérer la Covid et gérer ces problèmes : cela a été comme porter un très lourd sac de pierres sur votre dos ! Ceci étant dit, du côté positif, je dirais que nous avons également pu voir beaucoup de victoires en course, donc notre moto a clairement été une bonne moto cette année, capable de gagner dans beaucoup de circonstances différentes. Cela a également été inhabituel dans le sens où le team Petronas a remporté six courses alors que le team officiel seulement une jusqu’à présent, puisque ce week-end n’est pas terminé. De façon évidente, la moto a un potentiel et est compétitive puisqu’elle a pu remporter les courses, mais nous n’avons pas atteint notre objectif qui était de remporter le championnat du monde. Donc chapeau à Suzuki car ils ont été très réguliers et ont fait une bonne saison ensemble. Joan Mir a montré de la maturité et ils ont remporté le championnat, donc je dirais que cela a été une opportunité ratée de notre côté. »
Pensez-vous que le manque de régularité des Yamaha est seulement dû à vos problèmes techniques et à la Covid ? Car certains de vos pilotes déçus que la moto fonctionne très bien une semaine et pas celle d’après…
« Malheureusement, c’est un peu le problème auquel nous avons dû faire face durant les trois dernières années. On a vu que certaines années, cela avait été plus extrême que cette année. Nous peinons toujours en ce qui concerne l’adhérence, avec la motricité, puis également avec le freinage. Nous avons deux spécifications de motos, trois pilotes avec les mêmes spécifications, ce que nous appellerons la moto 2020, ainsi que Franco Morbidelli avec une moto 2020 Spec A qui a une base différente. Est ce que nous avons vu, c’est que durant la deuxième partie de l’année Franky a obtenu trois victoires et il est donc l’homme en forme en ce moment alors que certains parmi les autres ont peiné. »
« La moto n’a donc pas pu fournir une performance régulière sur tous les circuits, de part son dessin. Ce n’est pas directement lié au problème des soupapes, c’est une autre question de conception. »
Lors des dernières années, vous avez signé vos pilotes très tôt, y compris cette saison avec Fabio et Maverick. Cela implique que Franco Morbidelli ne sera pas pilote officiel l’an prochain. Cela pourrait-il vous amener à reconsidérer votre stratégie en ce domaine ?
« Pour répondre à votre question concernant le timing des décisions pour les pilotes futurs, je dirais que nous sommes très heureux de notre choix. Nous croyons dans les pilotes que nous avons choisis pour 2021 et 2022, et ils ont un contrat de deux ans. Dans ce monde, la compétition est sur la piste et en dehors de la piste, et si vous regardez ici, vous voyez qu’il y a six constructeurs, et chacun de ces six constructeurs que les pilotes sont très très importants si vous voulez atteindre votre but et votre objectif qui est de remporter le championnat du monde. Nous sommes donc également en compétition en dehors des circuits et tout le monde veut ne pas être battu et voir son choix de pilotes pris par un autre constructeur. L’année dernière, nous avons fait une opération précoce avec Fabio et Maverick, au moment où Valentino ne s’était pas décidé sur son propre futur. C’était donc des circonstances très particulières et je peux seulement dire que je pense pas que cela aurait changé notre… Vous savez, les derniers résultats de Franky cette saison sont très très bons et très très solides, et mettent Franky dans une position forte. Mais nous avons à l’esprit que Franky pilotera également une Yamaha l’année prochaine et pilotera une Yamaha en 2022 si nous confirmons le nouveau contrat avec le team SIC pour une nouvelle prolongation. C’est donc toujours difficile et dans un sens c’est un pari, mais à un moment vous devez faire votre choix avec toutes les informations et toutes les attentes que vous que vous avez. Vous faites votre choix et vous faites avec. Donc non, je suis heureux avec ce choix. »
Quelle part vont prendre Maverick Viñales, Fabio Quartararo et Valentino Rossi dans le développement de la moto, et en avez-vous discuté avec eux ?
« Concernant le changement de Valentino, bien sûr, ce weekend marque un moment significatif pour nous et pour Valentino, car il est dans sa 15e saison avec le team d’usine Yamaha. C’est vraiment extraordinaire ! Bien sûr, il a fait ça en deux périodes, la première fois il a fait sept ans avant de faire un break de deux ans puis de revenir pour huit années. Il n’y a donc aucun doute que de déménager à côté, cela sera un changement et ce sera différent, mais d’un autre côté ce ne sera pas différent car Valentino disposera d’un soutien entier de l’usine l’année prochaine. Il pilotera une moto d’usine avec les mêmes spécifications que celles des pilotes d’usine. Il est vrai que certains des développements seront davantage menés par le team d’usine, mais Valentino est une partie très importante de notre récolte de données. Davide (Brivio) vient juste de le dire, avoir plus de pilotes sur la piste est important, et il est évident que nos ingénieurs regarderont les données de Fabio, de Maverick et de Valentino pour développer et faire progresser la moto d’usine. Mais vous savez, nous obtenons également des informations intéressantes en ayant Franky là-bas, donc je pense que ce ne sera pas un changement énorme, que quoi qu’il en soit nous n’aurons pas un déficit énorme, et que cela ne changera pas beaucoup la façon dont nous développons la moto. »
Pourquoi peut-on être amené à penser que la moto de l’année dernière fonctionne mieux que celle de cette année ?
« Concernant la performance des motos et les résultats obtenus, vous dites que la vieille moto performe mieux que la nouvelle moto, si j’ai bien compris la question. Ce n’est pas vraiment toujours le cas. Au final, nous avons gagné sept courses cette année, et quatre de ces victoires ont été obtenues avec les nouvelles spécifications d’usine 2020, et Franco utilise la 2020 Spec A qui est différente. Donc statistiquement, davantage de victoires ont été obtenues avec les spécifications d’usine. Cela dépend des circuits, cela dépend des circonstances, et parfois, en voulant avancer et en espérant un gain, vous perdez également quelque chose en chemin. Et il est très difficile de toujours constamment progresser. Et avec les spécifications d’usine, vous devez progresser : vous ne pouvez pas rester avec ce que vous avez et espérer être compétitif dans le futur. »
« Donc peut-être qu’à ces occasions, je pense que Franky s’est comporté exceptionnellement bien, et nous l’avons également vu l’année dernière dans le cas de Fabio : il n’a pas remporté de course la saison passée mais il était vraiment très fort avec son package. Et parfois, travailler avec le package que vous avez est mieux que de développer constamment en cherchant de nouvelles choses. Donc c’est toujours une question d’équilibrer les plateaux de la balance. »
Quelle peut-être l’influence des changements qu’il y a eu dans le département moteur au Japon et des problèmes de soupapes rencontrés cette année sur le développement futur de votre moteur 2022 ?
« Concernant la question sur le département moteur, nous avons modifié l’organisation de notre département moteur en tout début d’année, donc je ne m’attends pas vraiment à un changement majeur à court terme. Mais je pense que l’erreur que nous avons faite cette année a été commise avant le début de cette année : elle a été faite en milieu d’année dernière. Pour revenir sur le sujet des soupapes, je ne veux pas donner trop de détails, mais nous avons eu ce problème avec le fournisseur de soupapes en juillet quand ils n’ont pas pu poursuivre la production des soupapes que nous voulions utiliser. À ce moment, Yamaha a pris sa décision d’avoir deux fournisseurs de soupapes, et et cela a été la mauvaise compréhension du règlement. Puis il y a eu le facteur que nous avons peut-être raté le protocole au début de la saison… Donc je pense qu’en termes de département moteur proprement dit, en parlant franchement et mis à part la faiblesse de certaines soupapes que nous avons connues, notre moteur a été très fiable pour le reste de la saison. Certains de nos moteurs ont maintenant plus de 3000 km, ce qui est vraiment extraordinaire ! Et ils devaient faire ça car nous avons dû ranger un lot complet de moteurs. Donc je pense que notre principal attention pour progresser dans le futur est que nous devrons beaucoup plus faire attention d’une façon stricte aux détails sur la planification de la saison, en reconfirmant la qualité des composants, et en reconfirmant le règlement : donc beaucoup plus de reconfirmations seront nécessaires. »
« Pour la saison 2021, nous sommes plutôt confiants au sujet de nos moteurs à cause de la fiabilité que nous avons vue en utilisant les bonnes soupapes durant la plus grande partie de la saison. Comme vous le savez, le règlement implique que nous continuerons à utiliser ces moteurs l’année prochaine. Nous manquons toujours de puissance donc nous pouvons faire en sorte pour avoir plus de puissance mais nous devrons attendre 2022, quand nous pourrons re-développer ou utiliser le développement sur le nouveau moteur. J’espère avoir répondu à votre question. »
Pensez-vous que l’arrivée de Cal Crutchlow puisse résoudre le problème récurrent des Yamaha schématisé par leur irrégularité et leurs problèmes d’adhérence ?
« Au sujet de votre question sur la régularité des motos, ou leur irrégularité, oui, c’est quelque chose que nous avons connu durant les trois dernières années. Parfois nous pouvons performer exceptionnellement bien, et parfois nous peinons vraiment, et nous peinons vraiment pour trouver des solutions, et cela s’est assurément produit à nouveau cette année. Je pense que cette année, nous avons également été handicapés car nous n’avons pas fait le moindre test à part les tests officiels avec les pilotes d’usine sous contrat, alors que nous avons eu une moto avec de nouvelles spécifications, un nouveau moteur et un nouveau châssis. Nous avons commencé l’année en prenant Jorge Lorenzo sous contrat et nous avions planifié un programme d’essais complet pour cette année, en utilisant le team d’essais japonais avec certains personnels européens et Jorge. En réalité, nous avons seulement roulé deux jours à Sepang puis au test avant Portimao. Donc toutes les activités que nous avions planifiées cette année ont malheureusement dû être annulées, et je pense que cela nous a définitivement affecté négativement car nous n’avons pas pu travailler sur le problème alors que je pense toujours que Jorge aurait été un excellent pilote d’essai pour faire ce travail. »
« En ce qui concerne l’autre partie de votre question, sur l’année prochaine, le fait que nous aurons Cal avec nous est un signe de notre intention. Nous sommes pleinement confiants d’avoir fait un très très bon choix avec Cal. Je crois que Cal est un vrai travailleur, il est vraiment avide de débuter ce projet. Nous ne commettrons pas deux fois la même erreur et nous effectuerons à coup sûr un programme d’essais plus intensif l’année prochaine. Nous avons récupéré beaucoup d’informations cette année, donc nos ingénieurs vont changer le châssis l’année prochaine et travailler pour améliorer ce sujet, plus les retours d’information de test de Cal, plus nos propres tests de pré-saison, nous sommes plutôt confiants de pouvoir régler ce problème l’année prochaine. »
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez préféré choisir Cal Crutchlow au lieu de continuer avec Jorge Lorenzo ?
« Ce que nous avons vu, c’est que quand nous avons fait le premier test de la saison à Sepang, cela faisait déjà quatre mois que Jorge Lorenzo n’avait pas roulé sur une moto, quand il a fait le test de déverminage à Sepang. En fait, nous n’avons rien testé du tout mais Jorge a retrouvé sa vitesse. Puis, comme je l’ai dit, nous n’avons pas fait le moindre test, nous n’avons pas pu faire le moindre test à cause de la situation sanitaire jusqu’à Portimao. Et à nouveau, Jorge Lorenzo n’a pas passé le moindre temps sur une moto durant ces très nombreux mois. Je pense que notre décision a globalement été basée sur le fait que Cal sort d’une saison complète de Grands Prix, alors que si nous avions pris Jorge, celui-ci aurait été à une année complète, presque une année et demie, d’une saison de compétitions en Grands Prix. Cal est affûté pour la course, prêt à débuter. Il était disponible et a montré une passion pour faire ce travail, donc nous pensons qu’il était le bon choix pour nous à ce moment. »
A suivre avec Mike Leitner pour KTM…
Retrouvez ici Davide Brivio pour Suzuki
Retrouvez ici Paolo Ciabatti pour Ducati
Crédit photos: MotoGP.com