Près de dix ans après sa retraite du MotoGP et plus de trois années après sa dernière apparition dans le paddock en 2018, Casey Stoner était de passage ce weekend à l’occasion du Grand Prix d’Algarve, sur le circuit de Portimão. L’occasion pour le pilote australien d’accorder une conférence de presse exhaustive.

Le double Champion du monde en 2007 (avec Ducati) et 2011 (avec Honda) a en effet passé au crible tous les sujets, avec le franc parler qu’on lui connaît. De son avis sur la saison 2021 à sa relation avec Valentino Rossi, des succès de Ducati cette saison au développement de la Honda, de ses problèmes de santé à la convalescence de Marc Márquez, de son opinion sur les règlements technique et sportif à celui sur la jeune génération, Stoner s’est livré sans concession. Instructif…

Pour retrouver la seconde partie de l’interview accordée par Casey Stoner, rendez-vous demain à 12h30 !


Casey, cela fait quelques années qu’on ne vous avait plus vu dans le paddock. Qu’est-ce qui vous ramène parmi nous ce weekend ?

« Oui cela fait quelques temps en effet ! Si mes souvenirs sont bons la dernière fois que je me suis retrouvé dans le paddock c’était il y a trois ans et demi, au Mugello en 2018. Cela faisait vraiment longtemps que je n’avais pas été dans le paddock, alors que celui-ci a constitué une bonne partie de ma vie. »

« Je dois bien admettre que tout cela m’avait manqué. J’avais bien essayé de revenir l’an dernier, mais la Covid est passé par là. Au moins la saison MotoGP a-t-elle pu suivre son cours plus ou moins normalement. C’est donc bien de revenir ici après toutes ces années, et de pouvoir rétablir des liens avec pas mal de monde. »

Vous avez beau ne plus participer à la compétition, vous restez un fan assidu du MotoGP. Quel regard portez-vous sur la saison 2021, alors que celle-ci vient tout juste d’avoir son Champion du monde il y a deux semaines, en la personne de Fabio Quartararo ?

« Selon moi ce fut une saison vraiment fantastique, notamment au niveau de la diversité sur le podium, avec pas mal de pilotes différents. Chaque course réserve son lot de surprises, même si c’était déjà le cas ces deux dernières années, mais c’est encore plus remarquable cette année. Certains pilotes ont l’air dans le coup la majorité du weekend puis finissent par marquer le pas et inversement pour d’autres. »

« Cette année il y a vraiment eu des résultats un peu surprenants, et ce fut même parfois déroutant pour bien tout suivre, mais c’était vraiment incroyable à regarder. Certains pilotes auraient mérité d’afficher une meilleure régularité, mais il faut dire que le format actuel des courses permet à des pilotes qui n’auraient pas pu viser un résultat élevé de trouver la confiance nécessaire pour tout de même parvenir à faire quelque chose sur certains weekends. C’est quelque chose qui n’aurait pas spécialement été possible par le passé. »

« Ce fut une saison vraiment fantastique »

 

Cela fait 14 ans que vous avez remporté le titre avec Ducati, et depuis la marque italienne se cherche toujours un pilote pour vous succéder au rang de Champion du monde. Cela doit d’ailleurs être sympa pour vous de voir Cristian Gabarini [responsable technique au sein de la marque italienne qui a œuvré par le passé avec Stoner] travailler avec succès avec Pecco Bagnaia cette saison. Pensez-vous qu’ils soient en passe de renouer avec le titre ?

« Cela fait quelques temps qu’ils en sont proches. Ces dernières années ils ont souvent été proches d’avoir un package vraiment complet et de pouvoir terminer le boulot. Malheureusement, cela s’est résumé à voir quel pilote Ducati était le plus rapide sur un weekend donné. Il faut en ce sens qu’il y ait plus de régularité, car la moto s’est souvent montrée sous son meilleur jour sur une piste avant d’avoir des déboires sur d’autres. »

« Mais je dois dire que c’est un problème récurrent : Tous les constructeurs disposent de pistes favorables et d’autres défavorables. Pour le moment, il y a encore quelques tracés où Ducati semble piétiner, et il faut donc juste encore un peu plus de régularité, et disons un package un peu plus facile à appréhender car au final ils ne sont vraiment pas loin du compte. »

« Quand on voit Yamaha qui parvient à produire un bon package année après année, il est très difficile de les battre. Il faut également ajouter que dès que Marc Márquez est à l’aise sur la Honda, il est très difficile à battre. Au final il ne s’agit pas juste de mettre une moto puissante en piste. Il s’agit d’un package complet qui doit bien fonctionner dans son ensemble, et c’est quelque chose qui est parfois assez difficile à obtenir. »

 

Il est difficile de se faire à l’idée que l’an prochain cela fera dix ans que vous vous êtes retiré de la compétition. Vous avez toujours déclaré ne pas regretter votre décision, mais avez-vous eu parfois des envies de retour en voyant certaines courses ces dernières années ?

« Cela a pu m’arriver lors des qualifications, alors que d’un autre côté je n’ai jamais beaucoup apprécié les dimanches de course. Quand vous êtes à la limite, il est toujours facile de faire une erreur, mais ma personnalité est telle que j’ai toujours peur de faire des erreurs. J’ai toujours préféré essayer d’extraire le plein potentiel de la moto en solo, mais j’ai beaucoup travaillé sur moi-même pour progresser sur ma vision des choses. »

« Après, je n’ai jamais eu la réelle volonté de courir de nouveau, mais cela a toujours été un plaisir de prendre part aux essais libres ainsi qu’aux qualifications, mais si ce n’était absolument pas le cas lors des essais privés. C’est toujours génial quand vous prenez la piste et que vous parvenez à tout « souder » et ainsi pouvoir essayer d’aller faire le chrono le plus rapide possible sur un tour ou deux. »

« Cela m’a toujours procuré bien plus d’émotions que de remporter une course, car lors de cette dernière vous devez gérer les pneus, le carburant, et vous passez toujours pour un imbécile si vous n’y parvenez pas et que vous chutez. »

« Je n’ai jamais eu la volonté de courir de nouveau »

 

Valentino Rossi est à son tour sur le point de prendre sa retraite. Quelle est votre opinion sur le fait qu’il soit encore en train de piloter à son âge ?

« C’est génial si Valentino est toujours en mesure de courir. Me concernant je n’aurais jamais été capable d’avoir une telle longévité, car pour moi la compétition était rattachée à la victoire. Cela m’est bien sûr arrivé une paire de fois de ne pas réussir à gagner, mais ma raison de me lever le matin a toujours été de viser la victoire. »

« Cela m’aurait donc été très difficile de continuer si je ne disposais pas d’un matériel en mesure de gagner et de jouer les premiers rôles. Maintenant, je dois dire que le fait de voir Valentino aux avant-postes me manque. J’adorerais le voir se battre avec les autres gars, je pense que ce serait incroyable. Tous les deux nous avons eu de véritables belles batailles, avec de grosses rivalités. »

« Il y a bien sûr eu des bons et des mauvais points, mais la chose qui a vraiment été incroyable lorsque je courrais avec Valentino, ce fut le fait d’apprendre constamment de lui. Que ce soit en piste ou en dehors, par exemple sa relation avec les médias. Il a toujours été malin. Je pense par ailleurs que tous les succès acquis durant ma carrière n’ont eu que plus de valeur en les obtenant face à lui. »

« Je n’aurais jamais été capable d’avoir la même longévité que celle de Valentino Rossi »

 

Beaucoup de changements sont survenus depuis que vous avez quitté la compétition, que ce soit au niveau des équipements, des règles, des formats de course. Quelle modification a eu le plus gros impact sur le sport depuis votre époque ?

« Sur le plan technique je dirais que l’électronique a eu pas mal de conséquences. Cela a nivelé le niveau des différentes motos, mais encore une fois je ne peux pas vraiment m’épancher sur le sujet si je n’ai pas piloté l’une de ses motos. »

 

Est-ce qu’il vous arrive, quand vous êtes chez vous en train de regarder une course, de vous dire que dans telle ou telle situation en piste, à la place de tel ou tel pilote, vous feriez telle ou telle chose ?

« Je ne dirais pas que je comparerais ce que je ferais ou non, mais peut-être que des fois j’appréhenderais les choses différemment, avec par exemple une autre trajectoire, ou bien des réglages différents au niveau des pneus. Au final c’est très difficile d’être assis dans son canapé et de se permettre de dire « je ne ferais pas ça à sa place ». »

« C’est vraiment quelque chose de très difficile de piloter ce genre de machines, d’autant plus quand vous êtes une bonne vingtaine sur la grille. Ce n’est vraiment pas un boulot facile, et certains donnent sans doute trop leur opinion sur ces sujets. Je pense que tous les pilotes, quels qu’ils soient, donnent vraiment le meilleur d’eux-mêmes et il mérite donc tout mon respect, peu importe qu’ils prennent ou non les bonnes décisions. »

Quelle est votre opinion sur la situation de Marc Márquez ? Il a été victime de nombreuses blessures, la dernière en date à l’entraînement avec une commotion cérébrale… Dans quelle mesure ces blessures peuvent-elles affecter le moral d’un pilote ?

« Les blessures font partie de la compétition, et il faut faire avec. Mais je pense que Marc est particulièrement fort dans le fait d’apprendre de ses erreurs. Nous faisons tous des erreurs, nous attaquons tous à la limite, et là encore tout cela fait partie intégrante de la compétition, car au final il faut toujours essayer de tirer le maximum de soi-même et de la moto, mais Marc est vraiment capable de comprendre de ses erreurs et de ne pas les renouveler. »

« Me concernant quand j’étais victime d’une chute, à supposer que je n’étais pas blessé j’étais toujours en capacité dans la foulée de remonter sur une moto, pour peu qu’elle dispose de réglages similaires, et de rouler au moins aussi vite, si ce n’est plus, car j’avais compris de mon erreur. J’ai toujours fait attention à ne pas chuter, j’ai toujours été prudent de ce point de vue-là, mais je n’ai jamais pour autant eu peur des erreurs que je pouvais faire. »

« Dans le cas récent de Marc, la situation est néanmoins légèrement différente, car il sort vraiment d’une longue période de convalescence marquée par de nombreuses complications, et cela demande du temps pour revenir à niveau tant du point de vue physique et mental. Les gens pensent d’ailleurs la plupart du temps que du point de vue physique cela ne prend pas autant de temps de revenir au niveau. »

 

« Pour ma part, même après mon opération de la cheville je n’ai pas été capable de marcher pendant plusieurs mois. J’avais tout simplement perdu énormément de masse musculaire, qui disparaît très vite lorsqu’elle n’est pas utilisée. Je pense donc que son bras et son épaule vont prendre également beaucoup de temps à être bien remis d’aplomb, il va falloir du temps pour que tout cela revienne à la normale. »

« Il y a aussi le problème que vous ne pouvez pas durant votre récupération simuler le moindre roulage sur une MotoGP, quand bien même vous faites tout ce que vous pouvez comme courir en Superbike. Au final il n’y a rien qui se rapproche de ce que vous pouvez ressentir sur une MotoGP. A partir du moment où vous ne pilotez pas sur ce type de machine, vous ne maintenez pas en forme les différents muscles qui travaillent spécifiquement lors de ce genre de pilotage. »

« Par-dessus tout vous avez la peur aussi de vous blesser de nouveau de la même façon. C’est donc impossible de savoir ce que traverse Marc exactement en ce moment, mais il ne fait aucun doute que les derniers temps ont dû être difficiles pour lui. »

« Il n’y a rien qui se rapproche de ce que vous pouvez ressentir sur une motogp »

 

Avez-vous eu la possibilité de parler avec Valentino jusqu’ici ce weekend ? Avez-vous été surpris par l’annonce de sa retraite à la fin de saison ?

« Non, je n’ai pas encore eu le temps de lui parler. Je dois dire que je n’ai pas vraiment été surpris qu’il annonce sa retraite, mais le fait que ce soit cette année m’a en effet surpris. Je pensais qu’il aurait essayé de partir sur une meilleure note que cela, mais bien sûr il faut prendre en compte la Covid qui est source de pas mal de problèmes. Mais après tant d’années passées en compétition, je suppose qu’il est aussi difficile de savoir quand il s’agit du bon moment pour se retirer. »

Avez-vous envisagé devenir consultant auprès de jeunes pilotes afin de les conseiller dans leurs choix de carrière ?

« J’y ai pensé effectivement, mais pour tout dire cela est plus facile à dire qu’à faire. Avec ma famille en Australie, le fait d’endosser ce rôle m’aurait tenu éloigné d’elle pendant de longues durées. C’est donc vrai que j’aurais bien aimé faire cela, mais d’un autre côté je ne fais jamais les choses à moitié. »

« Cela a donc été un vrai sujet de discussions avec ma femme, et c’est quelque chose que j’aurais bien aimé faire, car je pense avoir encore beaucoup de choses à donner, et que je dispose par ailleurs d’un recul unique sur la compétition. Je sais ce qu’il faut bien sûr pour être rapide, mais je sais aussi comment et pourquoi certaines choses se produisent. Moi-même si j’avais su certaines choses plus tôt dans ma carrière, j’aurais sans doute fait de meilleurs choix à des moments donnés. Pour résumer j’aurais donc adoré faire cela, mais au final cela n’aurait rendu ma situation que plus délicate. »

Pour retrouver la seconde partie de l’interview accordée par Casey Stoner, rendez-vous demain à 12h30 !