Lors des interviews que Hervé Poncharal nous accorde à chaque Grand Prix , il arrive parfois que le jeu des questions-réponses dérive sur quelque chose de plus personnel. Ce fut le cas après le Grand Prix d’Espagne à Jerez où, après avoir analysé comme à notre habitude la ou les courses des pilotes Tech3 MotoGP, nous avons voulu en savoir plus sur l’homme qui vit cette vie endiablée au rythme des Grands Prix, tout en restant toujours autant passionné après presque trois décennies à la tête de son équipe.
Nous publierons cette seconde partie plus personnelle demain soir.
Après Jerez, Hervé Poncharal est-il un homme heureux ?
« Franchement, tu as toujours un petit peu peur. Au Qatar, je vous en avais parlé à l’époque et vous avais dit qu’il y avait « l’alignement des planètes ». Tu te dis « ah… peut-être que c’est la seule fois de l’année où on va vraiment être aussi performant ». En Argentine, paf, on est dans le coup. Au Texas, sur un circuit qui au vu des courses qu’il avait faites là-bas n’est pas son préféré, il mérite un grand bravo, sans parler de sa course de dimanche. Et ce que je trouve aussi super, c’est que, en interne, dans l’équipe, tu sens qu’il est de mieux en mieux. Il est de plus en plus à l’aise. Humainement parlant, je parle. Et c’est quand même vachement agréable parce que j’ai un peu l’impression qu’il est en demande de ça. Je ne veux pas faire de la psychologie de comptoir mais tu sens qu’il aime bien avoir des relations humaines fortes avec son groupe, et qu’il ne se limite pas uniquement au moment où il est dans le box et au débriefing technique. Ça fait plaisir. »
Le mot famille prend tout son sens…
« Absolument. Après, je ne veux pas dépasser ses mots, mais en tout cas, oui pour moi. En plus, Jerez est la première épreuve européenne et l’on a une structure qui est plus complète, avec l’hospitality et sa chambre sur le circuit. Donc c’est évident que l’on est encore plus ensemble, d’autant que Laurent Fellon, qui n’était avec nous qu’au Qatar puisque empêché pour l’Argentine et le Texas, est revenu. Donc là, oui, nous sommes en mode famille. Quand je dis ça, on est évidemment en mode compétition avant tout mais le groupe est dans sa totalité, et c’est agréable, le soir, de dîner ensemble et de rigoler. »
Parlons de la course. Aviez-vous prévu cette stratégie différente des Yamaha officielles concernant la monte pneumatique et pensez-vous pouvoir faire « un coup » ?
« Au Qatar, on est tous restés sur le cul, moi le premier, et je vous l’ai dit ; je pensais qu’on rêvait. Parce qu’en Moto2, Johann était plutôt à partir correctement, puis à étudier et à porter l’estocade à partir de la mi-course pour être très très fort en fin de course. D’où notre surprise au Qatar ! En Argentine, il part 14 et finit 5. Là encore, des premiers tours très incisifs et des dépassements chauds. Au Texas, je ne vous en parle pas ; vous avez entendu les commentaires du 46. Donc, je ne peux pas dire qu’à Jerez, on avait rien prévu de particulier, mais vu les trois premières courses, vu qu’il est très rapidement dans le rythme et qu’il excelle dans ces dépassements, agressifs mais très propres, on n’a pas été totalement surpris de le voir faire ce qu’il a fait. Mais ce n’était pas une stratégie particulière. C’est la stratégie que Johann a dans sa tête.
Vous savez, tout le monde veut faire un bon départ et se retrouver dans une position intéressante au premier tour. Mais ça ne marche pas à chaque fois… donc il n’y avait pas une stratégie particulière d’attaque démentielle dans les premiers tours, même si encore une fois, on pouvait y penser au vu des trois premiers Grand Prix. Par contre, je ne suis pas technicien mais effectivement, j’ai vu qu’au Warm up, Vinales et Valentino Rossi avait fait l’intégralité de la séance avec le pneu dur avant. De plus Vinales n’est pas rentré au box alors qu’il n’était pas content de sa qualif ni de sa FP4. S’il y avait eu un problème, il serait rentré et aurait changé de moto ou de pneu avant. Or, il a été très rapide et régulier durant tout le Warm up. Nos deux pilotes ont fait l’intégralité du Warm up avec le médium devant. Ils avaient leur deuxième moto équipée avec le pneu dur avant, mais le plan était de ne les utiliser qu’en cas de problème. À la fin du Warm up, on savait que ce serait compliqué de partir en course avec un pneu dur devant pour la bonne et simple raison que c’est rare, à moins qu’il y ait vraiment un problème de sécurité absolue, que tu partes en course avec un pneu que tu n’as pas testé avant. Que ce soit à l’avant ou à l’arrière, mais surtout à l’avant.
Donc sur la grille, je regarde et vois évidemment les deux Yamaha officielles avec le pneu dur avant et je vois les deux nôtres avec le médium. Et là, vu la température qui montait, je me suis dit « ouaf ». J’en ai parlé à Guy Coulon et à Nicolas Goyon qui m’ont un peu envoyé bouler. Mais je marmonnais dans ma barbe et je ne voulais surtout pas en parler trop fort sur la grille, parce que la pire des choses, c’est de mettre le doute dans la tête du pilote quand il est sur la grille. Il ne faut surtout pas ! Quoi qu’il arrive !
Et même Piero Taramasso m’a dit mis le doute en me disant « ahhh, franchement, vu la température, je pense que c’est plus sécuritaire de partir avec le dur ». Donc je ne vous cache pas que quand j’ai quitté la grille après avoir tapé dans la main de Johann et de Jonas, je pensais que les 10 derniers tours allaient être compliqués. Quand on a vu le départ qu’ils ont fait, je me suis dit qu’ils savaient qu’ils avaient un coup à jouer en faisant un petit break en début de course pour peut-être gérer la fin de course qui allait être plus compliquée.
Et après, on a vu ce qui s’est passé. Lorenzo, qui était en médium/médium, était avec nous et j’étais un peu plus rassuré car lui non plus ne baissait pas de rythme. Et quand j’ai vu qu’à partir de la mi-course, puis aux deux tiers de la course, on continuait à aller plus vite que Vinales et Rossi, là, j’ai commencé à respirer et à me dire que c’était le bon choix. Et là, je dois dire que l’équipe technique de Johann, emmenée par Guy, et celle de Jonas, emmenée par Nicolas, plus Johann et Jonas, ont fait du super boulot et n’ont pas douté, même quand ils ont vu les Factory. Parfois, il est bien de ne pas singer systématiquement les grands garçons. Mais il ne faut pas bomber le torse, car ça, tu le sais seulement après. Ce n’est pas qu’on est plus intelligent qu’eux, pas du tout. En plus, au Warm up, c’était plutôt mieux de leur côté, surtout Vinales. Donc tu ne peux surtout pas les blâmer. »
Deux choses nous ont particulièrement impressionnés. La première, c’est que la veille au soir, sans aucune vantardise ou immodestie, Johann avait annoncé lors de son débriefing presse qu’il serait deuxième ou troisième après quelques virages. Il l’a fait et nous trouvons cela très impressionnant. L’autre chose, ce sont ces dépassements sur tous les cadors de la catégorie : précis et sans aucune hésitation, même sur Rossi qui l’a pourtant averti. En doublant ainsi tous les héros de la catégorie reine, c’est un peu un mythe qui s’effondre…
« Oui mais vous savez, et nous en avons déjà parlé, j’ai dit que Johann était en train de démontrer chaque week-end qu’en fin de compte, la bonne stratégie était d’arriver sans à priori. C’était d’arriver sans complexe, et c’était de se dire que ce terme d’extraterrestres n’était, en fin de compte, pas du tout adapté. Ce sont bien des super héros et des mecs magiques, mais qui restent des êtres humains, qui sont très forts mais qui peuvent aussi être battables.
Maintenant, plus ça va, plus je comprends le Grand Prix du Qatar où Johann avait besoin de se conforter dans l’idée de ce que l’on vient de dire. C’est-à-dire que ces grands noms, il avait besoin de les suivre pour apprendre d’eux et essayer de rester avec eux. Je me souviens aussi que, après la course aux États-Unis, il m’a dit « sur la première partie de la course, c’était très intéressant. Je suis resté avec eux ». Puis, sans aucune forfanterie, il m’a dit qu’il n’y avait pas un endroit où un gars l’avait sur-impressionné au point de lui donner des complexes. Grosso modo, cela voulait dire qu’ils pouvaient rouler avec eux.
Je pense que peut-être ce qui est en train de se jouer en ce moment dans sa tête, c’est peut-être déjà 2018. Parce que cette année, il sait très bien, et il le dit, qu’il ne sera pas titré. Même si notre moto est très bonne, il n’a pas la moto dernière dernière mouture, même si certains, et ça reste à prouver, vont dire qu’à Jerez la 2017 était moins bonne. Évidemment, c’est une année d’apprentissage. Mais pour lui, c’est très important de se mettre déjà dans la peau d’un régulier top cinq, voire de temps en temps un podium, et pourquoi pas même d’un éventuel GP Winner, et surtout de faire en sorte que ses pairs, qu’il admirait tant, que ce soit Márquez, Pedrosa, Rossi, Lorenzo ou les autres, le respectent. Il n’y a que comme ça que tu peux arriver à jouer avec eux. Et c’est beaucoup dans le mental et dans la tête.
Les commentaires me font toujours rire. Au début, même si Johann a dit qu’il n’attaquait pas, tout le monde l’a critiqué pour sa chute. Après, il y a les commentaires de Crutchlow qui dit que Zarco et Folger sont moins rapides que Rabat mais qu’ils ont seulement une super moto. D’ailleurs, il a encore dit à Jerez ce qu’ils étaient très lents. Johann a juste le deuxième temps, à 55/1000 de Pedrosa et une demi seconde devant Crutchlow. Et celui-ci a chuté en voulant doubler Johann, donc on a vu qu’ils étaient très lents… Enfin bon. Mais ce qui est super, c’est que, notamment Márquez qui est une très grosse référence, si ce n’est la référence, plus ça va, plus il a des commentaires ultra élogieux sur le pilotage de Johann. Après la course, Carmelo Ezpeleta a discuté avec lui, et Márquez lui a dit « mais attend, quand il m’a passé, je n’avais pas trop de réponse. Heureusement qu’il s’est fait deux sucettes qui m’ont permis de recoller. Il m’a doublé proprement, il roulait super propre et super vite et m’a rappelé le Márquez 2013. Je me suis dit qu’il fallait le redoubler tout de suite, sinon je ne reverrai jamais Pedrosa ». Bon, Pedrosa il ne l’a jamais revu, mais en tout cas, il y a de plus en plus de gens qui sont très positifs sur Johann, et Lorenzo en fait partie, et qui disent que Zarco, ce n’est surtout pas un coup de bluff sur une course en prenant des risques trop importants, mais que ça devient de plus en plus quelqu’un qui fait partie de leur groupe. »
Effectivement, il y a plus de plus en plus de respect de toute part…
« Et vous avez vu, il a doublé Valentino en début de course, Valentino l’a redoublé direct parce que je pense qu’il a encore quelque chose en travers de la gorge, et Johann a redoublé, mais propre. Et quand il a doublé Vinales, c’était propre. Et quand il a doublé Márquez, c’était propre. Et il apprend vite. Vous avez vu, il a essayé de doubler Márquez un endroit et c’était un peu limite, donc ce n’est pas passé. Et le tour d’après, il s’est mieux placé et là c’est passé. »
Bien, nous avons assez parlé de Johann et nous allons maintenant parler de Hervé Poncharal…