Lors des interviews que Hervé Poncharal nous accorde à chaque Grand Prix , il arrive parfois que le jeu des questions-réponses dérive sur quelque chose de plus personnel. Ce fut le cas après le Grand Prix d’Espagne à Jerez où, après avoir analysé comme à notre habitude la où les courses des pilotes Tech3 MotoGP, nous avons voulu en savoir plus sur l’homme qui vit cette vie endiablée au rythme des Grands Prix, tout en restant toujours autant passionné après presque trois décennies à la tête de son équipe.
Nous publions cette seconde partie plus personnelle ce soir.
Première partie de l’interview accessible ici
Bien, nous avons assez parlé de Johann et nous allons maintenant parler de Hervé Poncharal… Au moment du départ, vous êtes dans votre petite guitoune. D’ailleurs, quel est le vrai nom pour cet abri ?
« Dans le paddock, on appelle ça le canopy. »
Oui, mais nous savons combien vous êtes attachés à la France et à la langue française, et nous appellerons donc cela le hutteau, sans faire référence pour autant au célèbre Jacky…
« (Rires) »
Donc au moment du départ, à combien bat votre cœur, vous rongez-vous les ongles ou vous mordez-vous la lèvre ? Bref, comment vivez-vous cela ?
« Je suis très stressé. Vous avez même pu voir quelques images où, ne sachant plus quoi faire de mes mains, je n’étais pas à mon avantage… Quand les feux rouges s’éteignent, on regarde nos écrans et on ne s’aperçoit plus que l’on est stressé : on est complètement focalisé sur la moto. On regarde comment se passe le lâcher d’embrayage, la sortie de la grille, comment notre pilote se faufile, puis on compte tout de suite sa position au premier virage. Donc oui, j’ai le cœur qui bat très fort, et sans tout vous raconter, je pense à mes proches parents, à ma mère qui est encore là et à mon père qui ne l’est plus. Je regarde toujours un peu le ciel, je leur parle à tous et leur demande de nous aider, de faire en sorte de suivre nos pilotes et de les tenir avec un petit fil pour que tout se passe bien. Je le fais quasiment à chaque départ. Mais ça ne marche pas à tous les coups (rires).
Donc oui, évidemment, je suis très stressé et c’est ce que je dis à mes pilotes : « vous me blufferez toujours, et c’est pour ça que je n’aurais jamais pu être un grand pilote, c’est que vous êtes plus calmes que moi. Et heureusement, parce que je ne serais pas dans un état pour faire un super départ ». Je suis quelqu’un d’assez émotif, et l’habitude, malgré des centaines de Grands Prix auxquels j’ai participé, ne change rien. Je n’arrive pas à avoir suffisamment de recul pour être calme et serein au moment du départ. »
Cette tension qui atteint son paroxysme au moment du départ, reste-t-elle durant toute la course ?
« Ah oui ! Oui, oui, oui. Elle reste toute la course. Évidemment, tu fais le décompte des tours et tu trouves que c’est très long. Au bout de cinq tours, tu te dis « meeeeerde, il reste encore 22 tours ». Ma fille Mathilde me dit qu’elle m’entend crier malgré le bruit et malgré le fait qu’elle est dans le box et moi sur le muret. Donc oui, je parle très fort et dois sans doute faire des réflexions parfois idiotes. Mais je vis avec le pilote, tout comme mon frère Jérôme qui est à côté de moi dans le hutteau. Je suis sur la moto, je transpire avec le pilote, je me fais une chaleur quand il se fait une chaleur et quand il remonte sur un autre pilote, je suis avec lui pour l’aider à grappiller, centième par centième. Quand ça commence à se décanter, on continue à compter les tours et c’est encore plus long. Mais le plus beau moment, c’est quand ça se termine avec un super résultat, comme hier à Jerez, et que tu attends dans la ligne droite, et que tu vois qu’il sort du dernier virage. Là, tu te dis « ça y est ! ». Avec toute l’équipe, on monte sur le muret pour le saluer car c’est vraiment gagné. Et là, «pfiouuuuuuuu », toute la tension tombe d’un coup. Il y a des larmes quand ça se passe bien, tu sautes dans les bras de tous les membres de l’équipe, et surtout, tu te sens léger. Léger et dégagé de tout, et tu sais que la fin de la journée va être belle, que tu vas passer une soirée sympa. C’est l’apothéose du week-end et c’est le moment le plus agréable, et que, à mon avis, tous les membres de toutes les équipes ont envie de vivre.
À ce sujet, c’est d’ailleurs ce que j’ai dit à Jeremy Burgess pendant des années. Des fois, dans l’équipe officielle, c’était limite s’ils ne faisaient pas la gueule après une victoire. En tout cas, ils étaient totalement froids. Je leur disais « les gars, vous ne vous rendez pas compte ! Vous êtes devenus blasés de choses exceptionnelles. La vie a fait que notre pourcentage de victoires n’est pas du tout celui qui est le vôtre, mais essayez toujours de jouir de ces moments qui sont des moments exceptionnels. En tout cas nous, quand on se retrouve à faire des résultats qui pour vous sont des contre-performances, on est au paradis ». Après, c’est la nature des gens, mais même si on n’a pas eu la chance d’avoir des pilotes qui gagnaient tous les week-ends, surtout en catégorie reine, on ne sera jamais blasé. Donc ce que fait Johann actuellement est sublime et immense, mais même si cela devient plus fréquent et qu’il est régulièrement dans le top cinq ou dans le top six, on savourera toujours cela à sa juste valeur, et on jouira toujours autant de ces moments d’une intensité incroyable. C’est dans nos tripes, c’est dans nos gènes. »
Battre les Yamaha officielles, c’est une satisfaction supplémentaire ?
« Non. On ne peut pas dire que l’on est heureux d’avoir battu les Yamaha officielles. Mais ça veut dire à Yamaha « vous pouvez compter sur nous. Le jour où vous avez un petit souci, Johann Zarco et le team Monster Yamaha Tech3 inscrivent 13 points pour Yamaha dans le championnat des constructeurs ». Et si jamais, en fin de saison, Yamaha est titré pour quatre ou cinq points, ça sera aussi partiellement grâce à nous. Tout ça, ce sont des choses importantes car il y a quand même eu quelques tensions avec Yamaha par rapport aux 8 heures de Suzuka. Ils auraient aimé que Johann et Jonas participent à la course. Mais ceux-ci ont préféré se concentrer sur cette saison parce qu’ils l’estiment très importante. Ce n’est pas que l’on ne fait pas partie de la famille Yamaha, la preuve, c’est qu’on l’a fait dans le passé avec Espargaro et Smith. Mais cette saison, Zarco et Folger sont très bien dans leur tête, adorent leur moto, et veulent montrer à Yamaha qu’ils méritent la confiance qui leur a été donnée, ainsi que le super matériel qui leur a été mis à disposition cette année. Et pour cela, il faut être concentré sur un objectif. Tu ne peux pas te disperser sur différentes courses, ou sur des séances d’essais multiples et variées. Je vois les pilotes, et le dimanche soir, ils sont vannés et vidés. Il faut respecter cela. Ils ont besoin de se recharger en énergie pour la course suivante qui a lieu 10 jours plus tard. Donc, il est très important pour nous de montrer à Yamaha que l’on est tous ensemble, et qu’il y a quatre motos. On a toujours intérêt à avoir plus de motos sur la piste, peut-être avec des spécifications différentes, quatre pilotes qui ont des styles différents, et peut-être que comme ça, pour l’usine, cela peut les aider à cerner un problème ou à comprendre pourquoi ils sont forts dans tel ou tel domaine afin de préparer le futur. »
Nous sommes mardi et vous savourez encore votre meilleur résultat de l’année à Jerez. Quand va se produire le petit déclic qui va vous faire oublier cette course et penser à celle du Mans ?
« On peut dire que c’est déjà commencé. Quand on a eu fini la course et qu’on s’est senti libéré, plus du tout fatigué du week-end, je me suis dit « quelle belle manière de préparer son Grand Prix de France ! ». On sait déjà qu’au Grand Prix de France, le public répond toujours présent et est hyper chaud. Quel beau cadeau on leur a donné pour leur donner encore plus envie de venir ! Et puis tout de suite après, au dîner le soir, je me suis dit «Et merde, demain il y a une séance d’essais et ils sont toujours un peu fatigués ». Car les pilotes attaquent pendant une séance d’essais. Si tu veux valider telle ou telle solution, il faut le faire dans des chronos aussi rapides que tu le peux. Donc là, j’ai encore été très soulagé quand ils ont terminé, hier après-midi, après avoir fait ce qu’il y avait à faire. Ils avaient d’ailleurs uniquement roulé dans la fenêtre midi/15 heures qui correspondait au moment le plus chaud et au moment de la course, pour pouvoir comparer. On aurait pu partir plus tôt le matin pour faire craquer un chrono mais cela n’avait aucun intérêt. Maintenant, mes deux pilotes sont rentrés chez eux, content dans leur tête puisque la course s’est bien passée, tout comme les essais. Il faut maintenant réussir à gérer toute cette pression qu’il va y avoir autour de Johann pour lui permettre, comme je vous l’ai déjà dit, de répondre aux attentes de ses partenaires, du public et de ses fans, tout en lui laissant la possibilité de travailler comme sur un Grand Prix normal. On va donc tout faire pour qu’il soit bien sur la grille, ni fatigué, ni énervé, ni stressé, pour faire le plus beau Grand Prix possible. Mais c’est sûr que cela va être compliqué. Tous les jours, j’ai des demandes au téléphone ou par mail, pour des interviews, des visites de box ou des rencontres avec Johann. Mais, à un moment donné, tu es obligé de sélectionner et de dire stop, car le but final souhaité par tout le monde, c’est que Johann fasse une belle perf dimanche. Mais c’est sûr qu’il y a beaucoup de tension, de réflexion et aussi d’appréhension. Car tu as envie de le réussir, ce Grand Prix ! C’est LE Grand Prix ! Une fois passée, on l’oubliera, mais avant, tu te dis qu’il n’est pas comme les autres. »
D’accord. Mais aujourd’hui, mardi, vous êtes encore à Jerez ou vous êtes déjà au Mans ?
« Je suis à Bormes. »
(Rires) Merci Hervé Poncharal. Et bien, c’est sur ce trait d’humour que nous conclurons…
Photo d’accueil : Hervé Poncharal avec Alessandro Giardina, PDG de Barracuda.